Orléans était en effervescence, la ville paralysée, les rues barrées, le centre fonctionnait en autarcie. Tout ici invitait au culte de cette jeune fille de dix-sept ans qui, animée d’une foi et d’une volonté hors du commun, obligea les Anglais à lever le siège de la cité, le 8 mai 1429, pour sauver le Royaume de France. Nous étions arrivés tôt dans la matinée pour avoir une bonne place. Maman avait garé la 4 chevaux sur les mails et après avoir descendu, sacs, cabas et pliants, nous nous sommes dirigés vers la mairie par la rue Théophile Cholet. Les gens commençaient à arriver. Papa ouvrait la marche et préféra avancer encore, passer la place Sainte-Croix et choisir un meilleur emplacement dans la rue Jeanne-d’Arc. Les immeubles étaient pavoisés, des fanions multicolores papillotaient au vent. Des armoiries et des calicots fixés sur les façades en vis-à-vis surplombaient la rue.
On percevait dans le lointain la résonance des cornemuses. Mes parents choisirent un endroit propice sur le trottoir afin d’avoir une meilleure vue. Papa et moi avions nos pliants à l’exception de maman qui préférait sa chaise de camping, plus confortable. Près de nous se trouvait un guichet de vente de billets de la Loterie Nationale, les « Gueules Cassées ». La procession arrivait, la musique municipale jouait en éclaireur. Les coups vigoureux assénés sur la grosse caisse et les heurts des cymbales entrechoquées résonnaient très fort. Le joueur d’hélicon n’était pas en reste et soufflait dans son instrument, les joues gonflées. La fanfare suivait et les musiciens y mettaient tout leur cœur ! J’applaudissais, manifestant déjà un intérêt certain pour la musique ! Les jeunes filles représentant la gymnastique défilaient en jupettes et ballerines blanches. Les Provinces passèrent tour à tour en un grand cortège. L’homme de tête tenait le drapeau, les armoiries ou la bannière, suivi de petits groupes portant le costume régional traditionnel. Les fêtes de Jeanne-d’Arc associaient également les autorités civiles et religieuses. Dans ce grand défilé où la moitié de la ville regarde passer l’autre, les provinces, les armées et les personnalités formaient un immense cortège long de plusieurs kilomètres. Longtemps après, Jeanne, notre Jeanne, arrivait.
Héroïne d’un jour, en armure et à cheval, elle était incarnée par une adolescente orléanaise choisie pour son dévouement et ses qualités morales. Deux pages guidaient sa monture. Elle tenait droit l’étendard, regardant les spectateurs et tournait la tête de gauche à droite en souriant à tous. Parfois elle levait le bras en faisant un petit signe de la main. La foule applaudissait à tout rompre, rassemblée en une liesse joyeuse et colorée. Les gens parlaient à voix haute et commentaient. C’était l’occasion de tendre l’oreille et d’écouter. On pouvait voir ces scènes typiques traditionnelles allant de la dame au chapeau, du vieux au parapluie, du flic qui ne les laisse pas traverser, des notables dans les tribunes assis sur des fauteuils numérotés, au curé évitant de peu les crottins amoncelés. Maman avait sorti depuis longtemps son Polaroïd et mitraillait à qui mieux mieux ! Jeanne se dirigeait vers Saint-Loup, sur la rive droite, près des spectacles équestres. Aux abords des campements médiévaux, les artificiers faisaient des démonstrations d’artillerie. La musique, la danse, les jongleries, les animaux savants et la fauconnerie à cheval étaient présents. Jeanne-d’Arc et son escorte devaient traverser la Loire et gagner l’île Charlemagne. Le défilé se terminait. Les gens se levaient et partaient, laissant derrière eux un grand vide silencieux.
Extrait de « Mon ciel de traîne »
Jeanne d’Arc 2014 s’appelle Félicité (6 mai 2014) :
Félicité Lemaire de Marne a 16 ans, elle est scolarisée au Lycée Sainte-Croix Sainte-Euverte, à Orléans. Et c’est elle qui aura l’honneur de porter l’armure de Jeanne d’Arc, durant les 585 èmes fêtes Johanniques. Elle succède ainsi à Jeanne Le Guevel.