Une nouvelle approche d’édition du génome
CRISPR/Cas9 est un outil de modification du génome. Plus facile et plus rapide à utiliser que les techniques antérieures, c’est une approche prometteuse pour la thérapie génique.
Les termes de « genome editing » (ou édition du génome en français) désignent un ensemble de techniques utilisées pour modifier les séquences d’ADN qui constituent le génome. Jusqu’à présent, on utilisait les nucléases à doigt de zinc, les méganucléases ou encore les TALENs (nucléases effectrices de type activateur de transcription).Le système CRISPR/Cas9 est un nouveau système simple, rapide et efficace pour couper l’ADN à un endroit précis du génome, dans n’importe quelle cellule. Il est constitué d’un « ARN guide », qui cible une séquence d’ADN particulière, associé à l’enzyme Cas9, qui, comme des ciseaux moléculaires, coupe l’ADN.Une fois la séquence d’ADN coupée, les systèmes de réparation de la cellule vont recoller les extrémités des deux morceaux d’ADN créés par la coupure.
Il y a alors 2 possibilités :
- en l’absence de séquence de jonction modèle, le processus de réparation rajoute ou enlève quelques nucléotides à chacune des extrémités d’ADN afin de pouvoir les recoller ; cela provoque des « anomalies » dans la séquence d’ADN ciblée : le gène devient alors aléatoirement inactif ou réparé ;
- en présence d’une séquence d’ADN synthétique sans anomalie génétique apportée par les chercheurs dans la cellule, le processus de réparation l’intègre au niveau de la coupure : le gène est alors réparé ou corrigé.
Simple à mettre en œuvre, cette technique peut être facilement utilisée par les chercheurs pour mieux comprendre le rôle des gènes, corriger un ADN défectueux, mettre au point de nouveaux modèles animaux, mettre en place de nouvelles stratégies thérapeutiques…
Une révolution technique
Couronnée de nombreux prix depuis son développement, cette technique a été désignée « découverte scientifique de l’année 2015 » par la revue Science. Elle est maintenant utilisée dans des milliers de laboratoires de recherche du monde entier. La simplicité de sa mise en œuvre a permis une diffusion très rapide de son utilisation au sein de la communauté scientifique.
En effet, il suffit d’une protéine Cas9 pour couper l’ADN et d’un ARN guide spécifique de la séquence ciblée. L’ARN guide, qui doit être adapté à chaque fois, est très facile à fabriquer, ce d’autant que des logiciels (libres d’accès) ont été mis au point pour déterminer les meilleures séquences à utiliser selon le gène ou la séquence ciblés.
Une application chez l’homme à mettre au point
Beaucoup de travail est encore nécessaire pour s’assurer de la sécurité d’utilisation de cette approche chez l’homme. De plus, l’administration du système CRISPR/Cas9 dans les cellules de l’organisme devra s‘effectuer à l’aide de vecteurs et va se heurter à certains obstacles déjà rencontrés en thérapie génique : le choix du vecteur (adénovirus associé, lentivirus, vecteur synthétique…), le contrôle de la réponse immunitaire…
Comme pour toutes les techniques permettant de modifier le génome des êtres vivants, les limites éthiques de l’application de cette approche sont aussi à définir.
Source AFM-Téléthon
CRISPR/Nickase plus sûre que le CRISPR/Cas9 :
Alors que des premiers essais d’édition génomique avec CRISPR-Cas9 ont déjà eu lieu chez des embryons humains implantés, une nouvelle étude Inserm montre que la sécurité d’utilisation de cette technique est loin d’être maîtrisée. En s’essayant à cette méthode pour corriger le gène UROS dont la mutation confère une maladie hématopoïétique rare et sévère (la porphyrie érythropoïétique congénitale), l’équipe de François Moreau-Gaudry* a constaté de nombreuses anomalies liées à cette technique.
CRISPR-Cas9, c’est ce fameux outil moléculaire qui permet d’invalider un gène ou de le corriger. Il est composé d’un fragment d’ARN (CRISPR) qui reconnait une séquence spécifique sur l’ADN, auquel vient se fixer une nucléase Enzyme capable de couper des acides nucléiques au niveau des liaisons phosphodiesters. (Cas9) qui coupe les deux brins d’ADN à cet endroit précis. Les chercheurs peuvent y ajouter un brin d’ADN présentant la séquence qu’ils désirent introduire (appelé matrice) : elle servira de modèle au moment de la réparation de l’ADN clivé. Mais la prise en compte de ce modèle par la cellule n’est pas systématique, loin de là : seulement 40% des cellules sont correctement corrigées. Pour les 60% autres, c’est un autre mécanisme de réparation de l’ADN qui se déclenche. Il ne tient pas compte du modèle fourni et permet simplement de « raccrocher » les extrémités coupées entre elles. Appelé jonction d’extrémités non homologues, ce mécanisme entraine une perte ou au contraire l’ajout de bases à l’ADN et modifie définitivement la séquence du gène ciblé, notamment au niveau du site de reconnaissance par CRISPR. La cellule devient donc « résistante » à CRISPR et l’activité de la protéine codée par ce gène est altérée.
Une perte d’extrémité de chromosome
Mais surtout, François Moreau-Gaudry et ses collaborateurs ont montré que l’utilisation de CRISPR-Cas peut être associée à la perte de gigantesques fragments d’ADN à l’extrémité du chromosome modifié si la cellule a une activité p53 altérée. Cette dernière est souvent surnommée la gardienne du génome car elle veille à son intégrité. Or, de précédents travaux ont montré que les cellules modifiées par CRISPR-Cas présentent souvent un « faible statut en p53, c’est-à-dire une production réduite, sans que l’on sache expliquer pourquoi » , explique le chercheur.
Dans un modèle de cellules déficientes en p53, les chercheurs ont observé des pertes de morceaux de chromosome pouvant atteindre jusqu’à une cinquantaine de gènes. Dans certaines cellules, toute la partie distale du chromosome modifié en amont du gène ciblé par CRISPR, a disparu. « A priori, cette anomalie devrait être rarissime. Mais si parmi les gènes perdus se trouve un suppresseur de tumeur ou des gènes impliqués dans la réparation de l’ADN, le déclenchement d’un processus tumoral est probable« , illustre François Moreau-Gaudry pour évaluer les conséquences possibles de cette perte.
Pour écarter ce risque, mais aussi pour éviter les modifications génétiques non désirées causées par l’utilisation de CRISPR-Cas9, le chercheur propose de remplacer la nucléase qui coupe les deux brins de l’ADN par une nickase qui coupe seulement un des deux brins. « Le risque de perte de matériel génétique aux extrémités des chromosomes devient alors quasiment nul. En outre, la réparation par jonctions des extrémités non homologues ne se déclenche pas : la séquence du gène cible n’est donc pas altérée en cas d’échec et le matériel CRISPR-Cas9 peut être administré plusieurs fois de suite pour augmenter le taux de succès de l’édition. Cela peut s’avérer nécessaire car l’efficacité est moins bonne qu’avec l’utilisation d’une nucléase : la cellule a en effet tendance à utiliser le brin non coupé comme modèle plutôt que la matrice que l’on fournit« , explique le chercheur. Néanmoins, grâce à son protocole, François Moreau-Gaudry a fini par atteindre un taux de modification de 20 à 30% des cellules en augmentant la concentration de la matrice, en améliorant sa stabilité et en renouvelant plusieurs fois de suite ces manipulations. Et surtout, dans toutes les autres cellules, le gène cible est resté intact. « Ce travail alerte sur les risques d’utilisation à tous vas de la nucléase dans les essais cliniques et montre que le recours à la nickase est une option très sérieuse et plus sûre« , conclut le chercheur.