Le centre Joseph Arditti

Le Centre Joseph Arditti en 1961

Le Centre Joseph Arditti en 1961

En janvier 1961, le centre Joseph Arditti à Quessigny était une grande bâtisse perdue au milieu des champs de blé et de maïs. L’ambulance arriva dans la grande cour et s’immobilisa devant l’entrée. Il y avait une longue rampe de sécurité menant des étages au sol, servant à l’évacuation d’urgence et peinte en vert sombre. Le temps était froid et sec ; le chauffeur enfila un manteau, me descendit, et nous gagnâmes l’intérieur. Monsieur Redon, le directeur, était venu m’accueillir avec un large sourire. Je fus conduit dans un dortoir où l’on m’installa. Dès le lendemain, je commençais la rééducation fonctionnelle en salle avec monsieur Lebars. Les équipements étaient semblables, plans inclinés, tables entourées de grillage, cordes nylon, mousquetons, sacs de sable, etc. Un stagiaire m’a adapté des cannes anglaises et les jambes rigidifiées par des attelles, j’ai fait mes premiers pas, hors des barres. Mon chemin de croix commençait. Les exercices succédaient aux exercices, les épreuves aux épreuves, dans un climat de larmes et de révolte. J’avais surnommé la salle de kiné, salle des tortures. Je marchais quelques mètres avec mes cannes mais je ne pouvais pas me lever de mon fauteuil. Peu à peu je reprenais des forces. Mes parents venaient toujours me rendre visite.

Le centre Joseph Arditti à Quessigny

Le centre Joseph Arditti à Quessigny

Maman m’écrivait des poèmes dans cette déchirure.

Oh ! Que de souvenirs, doux et tristes pour moi
Evoquent ces objets en parlant de toi !
Et si lourde est ta croix ! Le malheur forge l’homme.
Ne ternis pas ton coeur ! Promets mon petit homme !
Demain tu grandiras, face à l’adversité,
Tu dompteras le sort toute une éternité !
Non, je ne suis plus seule : « ²Une lettre, une image,
Ton portrait qui sourit ! Bonsoir, mon fils Courage ! »

MARIE-THÉRÈSE CHRISTEL (1918-2001), extrait du poème « Tant de souvenirs… » Préface de cet ouvrage.

J’ai pris un peu de force dans ma jambe gauche et l’on m’a enlevé l’attelle. Je faisais maintenant un aller et retour dans le couloir, ce qui représentait une trentaine de mètres. J’avais la peur au ventre ; les chutes étaient nombreuses. Le handicap allait-il devenir mon compagnon ? Ma jambe droite ne bougeait toujours pas et je désespérais. J’avais des contractures en extension, sorte de réactions incontrôlées des muscles, fréquentes, dans les lésions de la moelle épinière. Monsieur Lebars, le chef kiné, avait décidé d’exploiter ces contractures et de les renforcer par la marche, tout simplement.

Le Centre Joseph Arditti - La salle à manger en 2008

Le Centre Joseph Arditti – La salle à manger (2008)

Nous étions en décembre 1961, les guirlandes décoraient la salle à manger et les lucioles multicolores clignotaient sur le grand sapin. L’orchestre de la base américaine d’Évreux-Nétreville, était venu jouer pour les fêtes de Noël. Nous avons applaudi au rythme des guitares ! Écouter en direct des musiciens est bien différent de l’écoute à la radio. Le lendemain il fallait reprendre la rééducation…

Si j’arrivais à marcher, à pas lents, quelques dizaines de mètres avec mes cannes anglaises, sans attelles, je ne pouvais toujours pas me lever seul de mon fauteuil. C’est alors qu’on utilisa une sorte de tabouret réglable par une vis centrale. Au départ, le siège était assez haut pour que je puisse me lever. Le jour suivant monsieur Lebars tourna un peu la vis pour atteindre un nouveau point limite, chaque fois de plus en plus bas. Petit à petit, j’ai pu me lever seul de mon fauteuil, parcourir deux allers et retours dans le couloir et revenir m’asseoir. Je devais faire cet exercice même en dehors des heures de kiné. Je glissais assez souvent, la chute était inévitable et je ne pouvais me relever seul. Pour les bras et les mains, je travaillais avec mademoiselle Lambert, ergothérapeute. Le tétraplégique, contrairement au paraplégique, est touché aux membres supérieurs.

Le Centre Joseph Arditti (2008)

En visite au Centre Joseph Arditti (2008 – 53 ans après)

Dans le dortoir, j’avais collé au mur des photos de Johnny Hallyday et d’Elvis Presley. Avec mes amis, Georges Leroux, Guy Baldrichi et Marcel Sorton, nous écoutions Salut les Copains, sur la terrasse, devant les cuisines. Le chef me donnait 2 ou 3 tranches de pain et quelques morceaux de sucre, en douce, car j’avais bon appétit ! Madame Mentel, l’aide-cuisinière, travaillait aux fourneaux. Sa fille Wanda venait lui rendre visite et parlait avec moi de la guerre d’Algérie. La Poste passait vers midi, j’avais presque toujours du courrier et parfois un colis ! Nous avions commencé les exercices les plus difficiles. Monsieur Lebars me posait à même le sol, loin de mon fauteuil et il me fallait trouver le moyen de remonter dedans. Je rampais, tout en regardant les objets et les accessoires, pour trouver le moyen de me relever. Je me suis assis sur un coussin, puis je me suis glissé sur un autre, un peu plus gros. De là, je me suis assis sur un tabouret. J’avais suffisamment de hauteur pour passer dans mon fauteuil. Mes coudes et mes genoux étaient en sang. J’avais mal partout mais j’étais victorieux. J’avais la rage et le déni du handicap. Monsieur Lebars, après m’avoir envoyé à l’infirmerie panser mes plaies, me remettait sur le sol pour tout recommencer. La colère et la haine m’envahissaient ; j’avais un sentiment d’impuissance. Je rampais à ses pieds et je crachais sur ses chaussures, les yeux brouillés de larmes. Qu’avais-je donc fait pour mériter cela ?

Extrait de « Mon ciel de traîne », Éditions Lulu, Londres .Livre broché, 165 pages, ©2008, ISBN : 978-1-4092-4438-7, français.
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